L’histoire de la traduction de la Bible
par Stephen J . Nichols et Gilles Despins
Dans sa sagesse infinie, Dieu nous a donné sa révélation progressive, sa Parole, dans trois langues, soit l’hébreu et l’araméen pour l’Ancien Testament, et le grec pour le Nouveau Testament. La langue hébraïque domine dans l’Ancien Testament, alors que seulement quelques passages ont été rédigés en araméen (Gn 31.47 ; Esd 4.8 – 6.18 ; 7.12-26 ; Jr 10.11 ; Dn 2.4 – 7.28), une langue qui est cependant très proche de l’hébreu. Pour ce qui est du grec employé dans le Nouveau Testament, il est appelé « koinè », c’est-à-dire « commun », car c’était le grec utilisé par la plupart des gens, contrairement au grec « classique » plus sophistiqué des philosophes et du monde intellectuel en général. Toutefois, cela ne signifie pas un manque de profondeur, au contraire. Le texte du Nouveau Testament est très riche, particulièrement au niveau de la grammaire et de la syntaxe. Quant à la profondeur du texte hébraïque, elle se trouve surtout dans ses structures poétiques. Ces langues venant à disparaître graduellement de la culture populaire, il devint de mise de rendre la Parole de Dieu accessible à tous en la traduisant dans d’autres langues.
Les premières traductions
Au début de l’histoire de l’Église, les livres sont tout aussi rares et onéreux que les diamants. Le processus entier de la production d’un livre – la fabrication du papier, l’encre et l’écriture – implique, à l’époque, un savoir-faire élevé et une quantité de temps considérable puisque tout doit être fait à la main. C’est entre autres grâce à l’Église qui cherche alors avec ferveur à lire et à copier la Parole de Dieu que le livre, en tant que nouvelle avancée technologique, est popularisé. En effet, le mot grec signifiant «livre» est biblion, d’où vient le mot français Bible. Avant l’invention du livre moderne, tout s’écrit sur des parchemins qui peuvent s’avérer encombrant, puis sur des papyrus qui, malgré le fait qu’ils constituent le matériel standard pour l’écriture, demeurent difficiles à gérer à cause d’un trop grand nombre feuilles détachées. Au tournant du IIe siècle, l’invention du codex – du livre – permet que toutes ces pages séparées puissent finalement être fixées ensemble.
L’histoire de la traduction des Saintes Écritures débute probablement avec la version samaritaine du Pentateuque, un texte qui se rapproche en général de l’hébreu original, mais qui diffère également sur certains points. Il y a eu ensuite la traduction grecque de l’Ancien Testament, appelée la « Septante », dont le nom est souvent abrégé en chiffres romains : LXX. D’ailleurs, le Seigneur Jésus lui-même ainsi que les apôtres citent très souvent les textes de cette version. Le Nouveau Testament, quant à lui, a été traduit en plusieurs langues anciennes entre le Ier et le VIIe siècle. Il suffit de mentionner les versions coptes, syriaques, arméniennes et géorgiennes, sans oublier bien sûr les multiples traductions latines.
Le nombre de variantes importantes entre les différentes versions latines étant élevé est d’ailleurs ce qui a motivé l’évêque de Rome, Damase Ier, à confier à Jérôme de Stridon le mandat d’uniformiser le texte latin. Jérôme, grand érudit de l’époque, fait alors sa traduction à partir des textes originaux hébreux et grecs. Cette Bible, mieux connue sous le nom de « Vulgate » (du latin signifiant « répandue » ou « populaire »), a été achevée en 405 apr. J.-C. Elle devient la Bible officielle du christianisme pendant tout le Moyen Âge et même jusqu’à la Réforme protestante. Un millénaire après sa première publication, la Vulgate est le premier livre imprimé, en 1455, peu de temps après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Cependant, le besoin d’avoir une traduction française des Saintes Écritures grandit au fil des siècles puisque le latin tend à disparaître de plus en plus des cultures populaires. En effet, le latin devient plutôt la langue des érudits et des autorités religieuses. Ainsi, quelques efforts en ce sens sont faits durant les XIVe, XVe et XVIe siècles, surtout à la suite de la publication du Nouveau Testament de Lefèvre d’Étaples en 1523.
Les traductions européennes à la suite de la Réforme
Lefèvre d’Étaples s’appuie sur le texte de la Vulgate pour faire son travail et non sur les textes écrits dans les langues originales. Il faut attendre encore une douzaine d’années avant de voir naître le premier véritable projet de traduction de la Bible en français à partir de l’hébreu et du grec. Entièrement financée par des protestants, cette nouvelle version est particulièrement destinée aux croyants issus de la Réforme. D’ailleurs, deux mots résument à eux seuls ce grand mouvement du début du XVIe siècle : sola Scriptura, c’est-à-dire « l’Écriture seule ». C’est donc en s’appuyant uniquement sur l’autorité et la suffisance des Écritures que les grands maîtres de la Réforme en arrivent aux conclusions doctrinales avec lesquelles ils se sont démarqués.
C’est pourquoi en 1532, depuis les hauteurs des Alpes italiennes, à Chanforans, dans la région du Piémont, la décision est prise d’entreprendre ce projet de traduction. Sous la direction des Églises vaudoises et de plusieurs croyants réformés, dont Guillaume Farel, le travail est confié à Louis Olivier, mieux connu sous le nom de Pierre-Robert Olivétan, cousin de Jean Calvin, homme pieux et grand savant. Sa traduction est achevée et imprimée en 1535, à Serrières, près de Neuchâtel.
Dix-huit ans plus tard, en 1553, la Bible d’Olivétan devient la toute première traduction de la Bible, toutes langues confondues, à paraître avec une division en chapitres et en versets. Bien évidemment, le texte est par la suite révisé à plusieurs reprises entre autres par Jean Calvin en 1560, puis par Théodore de Bèze en 1588. C’est ainsi que la Bible d’Olivétan devient la Bible de Genève. Pendant près de cent vingt ans, elle est révisée à de multiples reprises par les pasteurs et les professeurs de l’Église de Genève.
Au début du XVIIIe siècle, une première révision majeure est faite par le pasteur huguenot David Martin, alors réfugié aux Pays-Bas en raison des persécutions ayant lieu en France et qui paraît en 1707. Deux révisions du texte de la Bible Martin ont lieu par la suite : la première par le pasteur Pierre Roques en 1736 à Bâle ; la seconde, dix ans plus tard, en 1746, par Samuel Scholl, pasteur à Bienne. Pendant ce temps, un autre pasteur suisse, Jean-Frédéric Ostervald compose Arguments et réflexions sur l’Écriture sainte, qui paraît en 1724 avec le texte révisé par Martin. Plus tard, Ostervald révise lui-même le texte de la Bible de Genève dont la première édition est publiée en 1744 et qui est suivie par plusieurs révisions plus ou moins importantes jusqu’à la toute fin du XIXe siècle. C’est alors qu’est prise la décision de créer en France une « commission des versions bibliques » ayant pour but de produire une toute nouvelle révision du texte d’Ostervald. Ce projet, mis en avant par des synodes des Églises Réformées de France, voit d’abord le jour en 1903 pour de ce qui est du Nouveau Testament, puis la Bible est publiée dans son intégralité en 1910. Cette version reçoit alors le nom de Bible Synodale. Elle est elle-même révisée jusqu’au milieu du XXe siècle. Bref, la Bible d’Olivétan a été le point de départ de toute une série de Bibles françaises protestantes incluant les versions de Genève, Martin, Ostervald et Synodale.
Les efforts individuels du XIX siècle Après
le règne des Bibles de Genève, de Martin et d’Ostervald au XVIIIe siècle, on voit éclore un nombre impressionnant de traductions françaises au siècle suivant. Celles-ci sont surtout le résultat d’efforts individuels. Elles sont beaucoup trop nombreuses pour être mentionnées ici, mais la plupart d’entre elles possèdent cependant deux points en commun : une approche littérale dans la traduction et l’utilisation de versions grecques critiques du Nouveau Testament comme texte de base. D’une part, l’approche littérale n’est pas nouvelle puisque c’est aussi celle des traducteurs précédents. Les auteurs des nouvelles traductions jugent ainsi important de poursuivre dans la même veine en se fondant sur une profonde conviction quant à l’inspiration verbale des Écritures. Puisque tous les mots de la Bible sont « soufflés » par Dieu, il faut donc s’efforcer de bien les rendre en français tout en restant fidèle au texte original. D’autre part, la source sur laquelle les traduc- teurs de Olivétan s’appuient pour la traduction du Nouveau Testament est le texte grec publié au départ par l’érudit Érasme de Rotterdam, en 1516, puis révisé bon nombre de fois par la suite. Cependant, la découverte de plusieurs manuscrits grecs anciens amène de nombreux traducteurs à délaisser le texte reçu en faveur de variantes textuelles plus anciennes, et jugées de ce fait plus proches du texte rédigé par les apôtres. C’est le cas du savant britannique John Nelson Darby (1859) et du pasteur suisse Louis Segond. Ce dernier traduit tout d’abord l’Ancien Testament, qui paraît en 1874, suivi du Nouveau Testament, en 1880. Cette Bible, malgré certaines imperfections au niveau du style et de la précision, devient la Bible protestante la plus populaire de tous les temps dans la francophonie. Elle subit une première révision majeure en 1910, selon les dernières volontés du traducteur de n’effectuer aucun changement au texte durant son vivant. Puis, à partir des années 1970, quatre autres révisions importantes du texte de Segond ont lieu : la Colombe (1978), la Nouvelle Édition de Genève (1979), la Nouvelle Bible Segond (2002) et la Bible Segond 21 (2007).
Les efforts collectifs , du XX siècle à aujourd’hui
Deux changements importants marquent le monde de la traduction de la Bible française au XXe siècle. Dans un premier temps, les nouveaux projets de traduction biblique sont désormais confiés à un comité de traducteurs et de réviseurs. L’homogénéité de la traduction en souffre probablement, mais les différentes formes littéraires que l’on retrouve dans les Écritures pallient certainement cette lacune. Ensuite, la théorie de traduction passe globalement de l’équivalence formelle, c’est-à-dire littérale, à l’équivalence dynamique. Bien que ce soit à des niveaux différents, cela augmente particulièrement le degré d’interprétation du texte. Dans une certaine mesure, on peut probablement inclure ici la traduction oecuménique de la Bible (1975), la Bible en français courant (1982) et la Bible du Semeur (1992), pour ne nommer que celles-là.
Cependant, la comparaison entre les différentes versions françaises de la Bible que nous possédons aujourd’hui, autant celles des siècles passés que les plus récentes, nous donne une perspective intéressante quant à la richesse et à la profondeur des langues originales.
Nous vivons actuellement à une époque sans précédent quant à l’accès à la Parole de Dieu. Bien qu’il soit impossible de connaître le nombre exact de langues dans le monde, les linguistes estiment que le chiffre s’approche de 6 900. La Bible a été traduite – en entier ou en partie – dans 2 800 de ces différentes langues. Actuellement, la Bible est en train de se faire traduire dans près de 1 500 langues. Même si ces chiffres sont encourageants, trop de peuples n’ont toujours pas accès à la Parole de Dieu dans leur langue maternelle. L’Église devrait donc constamment travailler à rendre la Bible disponible jusqu’à ce qu’elle puisse être proclamée à toutes les nations.